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TRAITE DE LA VRAIE DEVOTION A LA SAINTE VIERGE - 2. MARQUES DE LA VERITABLE DEVOTION A LA SAINTE VIERGE

Spis treści

 

[2. MARQUES DE LA VERITABLE DEVOTION A LA SAINTE VIERGE]

105. Après avoir découvert et condamné les fausses dévotions à la Sainte Vierge, il faut en peu de mots établir la véritable, qui est: 1º intérieure; 2º tendre; 3º sainte; 4º constante et 5º désintéressée.

[1. "La vraie dévotion est intérieure"]

106. Premièrement, la vraie dévotion à la Sainte Vierge est intérieure, c'est-à-dire elle part de l'esprit et du coeur, elle vient de l'estime qu'on fait de la Sainte Vierge, de la haute idée qu'on s'est formée de ses grandeurs, de l'amour qu'on lui porte.

[2. "La vraie dévotion est tendre"]

107. Secondement, elle est tendre, c'est-à-dire pleine de confiance en la Très Sainte Vierge, comme d'un enfant dans sa bonne mère. Elle fait qu'une âme recourt à elle en tous ses besoin de corps et d'esprit, avec beaucoup de simplicité, de confiance et de tendresse; elle implore l'aide de sa bonne Mère en tout temps, en tout lieu et en toute chose: dans ses doutes, pour être redressée; dans ses tentations, pour être soutenue; dans ses faiblesses, pour être fortifiée; dans ses chutes, pour être relevée; dans ses découragements, pour être encouragée; dans ses scrupules, pour en être ôtée; dans ses croix, travaux et traverses de la vie, pour être consolée. Enfin, en tous ses maux de corps et d'esprit, Marie est son recours ordinaire, sans crainte d'importuner cette bonne Mère et de déplaire à Jésus-Christ.

[3. "La vraie dévotion est sainte"]

108. Troisièmement, la vraie dévotion à la Sainte Vierge est sainte, c'est-à-dire qu'elle porte une âme à éviter le péché et imiter les vertus de la Très Sainte Vierge, particulièrement son humilité profonde, sa foi vive, son obéissance aveugle, son oraison continuelle, sa mortification universelle, sa pureté divine, sa charité ardente, sa patience héroïque, sa douceur angélique et sa sagesse divine. Ce sont les dix principales vertus de la Très Sainte Vierge.

[4. "La vraie dévotion est constante"]

109. Quatrièmement la vraie dévotion à la Sainte Vierge est constante, elle affermit une âme dans le bien, et elle la porte à ne pas quitter facilement ses pratiques de dévotion; elle la rend courageuse à s'opposer au monde, dans ses modes et maximes; à la chair, dans ses ennuis et ses passions; au diable, dans ses tentations; en sorte qu'une personne vraiment dévote à la Sainte Vierge n'est point changeante, chagrine, scrupuleuse ni craintive. Ce n'est pas qu'elle ne tombe et qu'elle ne change quelquefois dans la sensibilité de sa dévotion; mais si elle tombe, elle se relève en tendant la main à sa bonne Mère; si elle devient sans goût ni dévotion sensible, elle ne s'en met point en peine: car le juste et le dévot fidèle de Marie vit de la foi de Jésus et de Marie, et non des sentiments du corps.

[5. "La vraie dévotion est désintéressée"]

110. Cinquièmement enfin, la vraie dévotion à la Sainte Vierge est désintéressée, c'est-à-dire qu'elle inspire à une âme de ne se point rechercher, mais Dieu seul dans sa sainte Mère. Un vrai dévot de Marie ne sert pas cette auguste Reine par un esprit de lucre et d'intérêt, ni pour son bien temporel ni éternel, corporel ni spirituel, mais uniquement parce qu'elle mérite d'être servie, et Dieu seul en elle; il n'aime pas Marie précisément parce qu'elle lui fait du bien, ou qu'il en espère d'elle, mais parce qu'elle est aimable. C'est pourquoi il l'aime et la sert aussi fidèlement dans les dégoûts et sécheresses que dans les douceurs et ferveurs sensibles; il l'aime autant sur le Calvaire qu'aux noces de Cana. Oh! qu'un tel dévot de la Sainte Vierge, qui ne se recherche en rien dans les services qu'il lui rend, est agréable et précieux aux yeux de Dieu et de sa Sainte Mère! Mais qu'il est rare maintenant! C'est afin qu'il ne soit plus si rare que j'ai mis la plume à la main pour écrire sur le papier ce que j'ai enseigné avec fruit en public et en particulier dans mes missions, pendant bien des années.

111. J'ai déjà dit beaucoup de choses de la Très Sainte Vierge; mais j'ai encore beaucoup plus à dire, et j'en omettrai encore infiniment davantage, soit par ignorance, insuffisance, ou défaut de temps, dans le dessein que j'ai de former un vrai dévot de Marie et un vrai disciple de Jésus-Christ.

112. Oh! que ma peine serait bien employée si ce petit écrit, tombant entre les mains d'une âme bien née, née de Dieu et de Marie, et non du sang, de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, lui découvrait et inspirait, par la grâce du Saint-Esprit, l'excellence et le prix de la vraie et solide dévotion à la Très Sainte Vierge, que je vais décrire présentement! Si je savais que mon sang criminel pût servir à faire entrer dans le coeur les vérités que j'écris en l'honneur de ma chère Mère et souveraine Maîtresse, dont je suis le dernier des enfants et des esclaves, au lieu d'encre, je m'en servirais pour former ces caractères, dans l'espérance que j'ai de trouver de bonnes âmes, qui par leur fidélité à la pratique que j'enseigne, dédommageront ma chère Mère et Maîtresse des pertes qu'elle a faites par mon ingratitude et infidélité.

113. Je me sens plus que jamais animé à croire et à espérer tout ce que j'ai profondément gravé dans le coeur, et que je demande à Dieu depuis bien des années, savoir: que tôt ou tard la Très Sainte Vierge aura plus d'enfants, de serviteurs et d'esclaves d'amour que jamais, et que par ce moyen, Jésus-Christ, mon cher Maître, règnera dans les coeurs plus que jamais.

114. Je prévois bien des bêtes frémissantes, qui viennent en furie pour déchirer avec leurs dents diaboliques ce petit écrit et celui dont le Saint-Esprit s'est servi pour l'écrire, ou du moins pour l'envelopper dans les ténèbres et le silence d'un coffre, afin qu'il ne paraisse point; ils attaqueront même et persécuteront ceux et celles qui le liront et réduiront en pratique. Mais n'importe! mais tant mieux! Cette vue m'encourage et me fait espérer un grand succès, c'est-à-dire un grand escadron de braves et vaillants soldats de Jésus et de Marie, de l'un et l'autre sexe, pour combattre le monde, le diable et la nature corrompue, dans les temps périlleux qui vont arriver plus que jamais. Qui legit, intelligat. Qui potest capere, capiat.

[C. "PRINCIPALES PRATIQUES DE DEVOTION A MARIE"]

115. Il y a plusieurs pratiques intérieures de la vraie dévotion à la Très Sainte Vierge, dont voici les principales en abrégé:

1º L'honorer comme la digne Mère de Dieu, du culte d'hyperdulie, c'est-à-dire l'estimer et l'honorer par-dessus tous les autres saints, comme le chef-d'oeuvre de la grâce et la première après Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme;
2º méditer ses vertus, ses privilèges et ses actions;
3º contempler ses grandeurs;
4º lui faire des actes d'amour, de louange et de reconnaissance;
5º l'invoquer cordialement;
6º s'offrir et s'unir à elle;
7º faire ses actions en vue de lui plaire;
8º commencer, continuer et finir toutes ses actions par elle, en elle, avec elle [et pour elle], afin de les faire par Jésus-Christ, en Jésus-Christ, avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, notre dernière fin. Nous expliquerons cette dernière pratique.

116. La vraie dévotion à la Sainte Vierge a aussi plusieurs pratiques extérieures dont voici les principales:

1º S'enrôler dans ses confréries et entrer dans ses congrégations;
2º entrer dans les religions instituées en son honneur;
3º publier ses louanges;
4º faire des aumônes, jeûnes et mortification d'esprit ou de corps en son honneur;
5º porter sur soi ses livrées, comme le saint rosaire ou le chapelet, le scapulaire ou la chaînette;
6º réciter avec attention, dévotion et modestie ou le saint rosaire composé de quinze dizaines d'Ave Maria en l'honneur des quinze principaux mystères de Jésus-Christ, ou le chapelet de cinq dizaines, qui est le tiers du rosaire, ou en l'honneur des cinq mystères joyeux, qui sont: l'Annonciation, la Visitation, la Nativité de Jésus-Christ, la Purification et le Recouvrement de Jésus-Christ au Temple; ou en l'honneur des cinq mystères douloureux, qui sont: l'Agonie de Jésus-Christ au jardin des Olives, sa Flagellation, son Couronnement d'épines, son Portement de Croix et son Crucifiement; ou en l'honneur des cinq mystères glorieux, qui sont: la Résurrection de Jésus-Christ, son Ascension, la Descente du Saint-Esprit ou la Pentecôte, l'Assomption de la Sainte Vierge en corps et en âme dans le ciel, et son Couronnement par les trois personnes de la très sainte Trinité. On peut dire aussi un chapelet de six ou sept dizaines en l'honneur des années qu'on croit que la Sainte Vierge a vécu sur la terre; ou la petite couronne de la Sainte Vierge, composée de trois Pater et douze Ave, en l'honneur de sa couronne de douze étoiles ou privilèges; ou l'office de la Sainte Vierge, si universellement reçu et recité dans l'Eglise; ou le petit psautier de la Sainte Vierge, que saint Bonaventure a fait en son honneur, et qui est si tendre et si dévot, qu'on ne peut le réciter sans en être attendri; ou quatorze Pater et Ave en l'honneur de ses quatorze allégresses; ou quelques autres prières, hymnes et cantiques de l'Eglise, comme le Salve Regina, l'Alma, l'Ave Regina coelorum, ou le Regina coeli, selon les différents temps; ou l'Ave maris stella, O gloriosa Domina, etc., ou le Magnificat ou quelques autres prières de dévotion, dont les livres sont pleins;
7º chanter et faire chanter en son honneur des cantiques spirituels;
8º lui faire un nombre de génuflexions ou révérences, en lui disant par exemple, tous les matins, soixante ou cent fois: Ave Maria, Virgo fidelis, pour obtenir de Dieu par elle la fidélité aux grâces de Dieu pendant la journée; et le soir, Ave Maria, Mater misericordiae, pour demander pardon à Dieu par elle des péchés qu'on a commis pendant la journée;
9º avoir soin de ses confréries, orner ses autels, couronner ou embellir ses images;
10º porter et faire porter ses images en procession, et en porter une sur soi, comme une arme puissante contre le malin;
11º faire faire ses images ou son nom, et les placer ou dans les églises, ou dans les maisons, ou sur les portes et entrées des villes, des églises et des maisons;
12º se consacrer à elle d'une manière spéciale et solennelle.

117. Il y a une quantité d'autres pratiques de la vraie dévotion à la Très Sainte Vierge, que le Saint-Esprit a inspirées aux saintes âmes, qui sont très sanctifiantes; on les pourra lire plus au long dans le Paradis ouvert à Philagie, composé par le R. Père Paul Barry, de la Compagnie de Jésus, où il a recueilli un grand nombre de dévotions que les saints ont pratiquées en l'honneur de la Très Sainte Vierge, lesquelles dévotions servent merveilleusement à sanctifier les âmes, pourvu qu'elles soient faites comme il faut, c'est-à-dire:

1º avec une bonne et droite intention de plaire à Dieu seul, de s'unir à Jésus-Christ comme à sa fin dernière, et d'édifier le prochain;
2º avec attention, sans distraction volontaire;
3º avec dévotion, sans empressement ni négligence;
4º avec modestie et composition de corps respectueuse et édifiante.

[D. LA PARFAITE PRATIQUE DE DEVOTION A MARIE]

118. Après tout, je proteste hautement qu'ayant lu presque tous les livres qui traitent de la dévotion à la Très Sainte Vierge, et ayant conversé familièrement avec les plus saints et savants personnages de ces derniers temps, je n'ai point connu ni appris de pratique de dévotion envers la Sainte Vierge semblable à celle que je veux dire, qui exige d'une âme plus de sacrifices pour Dieu, qui la vide plus d'elle même et de son amour-propre, qui la conserve plus fidèlement dans la grâce, et la grâce en elle, qui l'unisse plus parfaitement et plus facilement à Jésus-Christ, et enfin qui soit plus glorieuse à Dieu, sanctifiante pour l'âme et utile au prochain.

119. Comme l'essentiel de cette dévotion consiste dans l'intérieur qu'elle doit former, elle ne sera pas également comprise de tout le monde: quelques-uns s'arrêteront à ce qu'elle a d'extérieur, et ne passeront pas outre, et ce sera le plus grand nombre; quelques-uns, en petit nombre, entreront dans son intérieur, mais ils n'y monteront qu'un degré. Qui est-ce qui montera au second? Qui parviendra jusqu'au troisième? Enfin, qui est celui qui y sera par état? Celui-là seul, à qui l'Esprit de Jésus-Christ révélera ce secret, et y conduira lui-même l'âme bien fidèle pour avancer de vertus en vertus, de grâce en grâce, et de lumières en lumières pour arriver jusqu'à la transformation de soi-même en Jésus-Christ, et à la plénitude de son âge sur la terre et de sa gloire dans le ciel.

[1.] LA PARFAITE CONSECRATION A JESUS-CHRIST

120. Toute notre perfection consistant à être conformes, unis et consacrés à Jésus-Christ, la plus parfaite de toutes les dévotions est sans difficulté celle qui nous conforme, unit et consacre le plus parfaitement à Jésus-Christ. Or, Marie étant la plus conforme à Jésus-Christ de toutes les créatures, il s'ensuit que, de toutes les dévotions, celle qui consacre et conforme le plus une âme à Notre-Seigneur, est la dévotion à la Très Sainte Vierge, sa sainte Mère, et que plus une âme sera consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus-Christ. C'est pourquoi la parfaite consécration à Jésus-Christ n'est autre chose qu'une parfaite et entière consécration de soi-même à la Très Sainte Vierge, qui est la dévotion que j'enseigne; ou autrement une parfaite rénovation des voeux et promesses du saint baptême.

121. Cette dévotion consiste donc à se donner tout entier à la Très Sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par elle. Il faut lui donner:

1º notre corps avec tous ses sens et ses membres;
2º notre âme avec toutes ses puissances;
3º nos biens extérieurs qu'on appelle de fortune, présents et à venir;
4º nos biens intérieurs et spirituels, qui sont nos mérites, nos vertus et nos bonnes oeuvres passées, présentes et futures: en deux mots, tout ce que nous avons dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, et tout ce que nous pourrons avoir à l'avenir dans l'ordre de la nature, de la grâce ou de la gloire, et cela sans aucune réserve, pas même d'un denier, d'un cheveu et de la moindre bonne action, et cela pour toute l'éternité, et cela sans prétendre ni espérer aucune autre récompense de son offrande et de son service, que l'honneur d'appartenir à Jésus-Christ par elle, quand cette aimable Maîtresse ne serait pas, comme elle est toujours, la plus libérale et la plus reconnaissante des créatures.

122. Ici, il faut remarquer qu'il y a deux choses dans les bonnes oeuvres que nous faisons, savoir: la satisfaction et le mérite, autrement, la valeur satisfactoire ou impétratoire et la valeur méritoire. La valeur satisfactoire ou impétratoire d'une bonne oeuvre, c'est une bonne action en tant qu'elle satisfait à la peine due au péché, ou qu'elle obtient quelque nouvelle grâce; la valeur méritoire, ou le mérite, est une bonne action en tant qu'elle mérite la grâce et la gloire éternelle. Or, dans cette consécration de nous-mêmes à la Très Sainte Vierge, nous lui donnons toute la valeur satisfactoire, impétratoire et méritoire, autrement les satisfactions et les mérites de toutes nos bonnes oeuvres: nous lui donnons nos mérites, nos grâces et nos vertus, non pas pour les communiquer à d'autres (car nos mérites, grâces et vertus sont, à proprement parler, incommunicables; et il n'y a eu que Jésus-Christ qui, en se faisant notre caution auprès de son Père, nous a pu communiquer ses mérites), mais pour nous les conserver, augmenter et embellir, comme nous dirons encore; nous lui donnons nos satisfactions pour les communiquer à qui bon lui semblera, et pour la plus grande gloire de Dieu.

123. Il s'ensuit de là: 1º que par cette consécration on donne à Jésus-Christ, de la manière la plus parfaite, puisque c'est par les mains de Marie, tout ce qu'on peut lui donner, et beaucoup plus que par les autres dévotions, où on lui donne ou une partie de son temps, ou une partie de ses bonnes oeuvres, ou une partie de ses satisfactions et mortifications. Ici tout est donné et consacré, jusqu'au droit de disposer de ses biens intérieurs, et les satisfactions qu'on gagne par ses bonnes oeuvres de jour en jour: ce qu'on ne fait pas même dans aucune religion. On donne à Dieu dans les religions les biens de fortune par le voeu de pauvreté, les biens du corps par le voeu de chasteté, la propre volonté par le voeu d'obéissance, et quelquefois la liberté du corps par le voeu de clôture; mais on ne lui donne pas la liberté ou le droit qu'on a de disposer de la valeur de ses bonnes oeuvres, et on ne se dépouille pas autant qu'on peut de ce que l'homme chrétien a de plus précieux et de plus cher, qui sont ses mérites et ses satisfactions.

124. 2º Il s'ensuit qu'une personne qui s'est ainsi volontairement consacrée et sacrifiée à Jésus-Christ par Marie ne peut plus disposer de la valeur d'aucune de ses bonnes actions: tout ce qu'il souffre, tout ce qu'il pense, dit et fait de bien, appartient à Marie, afin qu'elle en dispose selon la volonté de son Fils, et à sa plus grande gloire, sans cependant que cette dépendance préjudicie en aucune manière aux obligations de l'état où l'on est pour le présent, et où on pourra être pour l'avenir: par exemple, aux obligations d'un prêtre qui, par office ou autrement, doit appliquer la valeur satisfactoire et impétratoire de la sainte Messe à un particulier; car on ne fait cette offrande que selon l'ordre de Dieu et les devoirs de son état.

125. 3º Il s'ensuit qu'on se consacre tout ensemble à la Très Sainte Vierge et à Jésus-Christ: à la Très Sainte Vierge comme au moyen parfait que Jésus-Christ a choisi pour s'unir à nous et nous à lui; et à Notre-Seigneur comme à notre dernière fin, auquel nous devons tout ce que nous sommes, comme à notre Rédempteur et à notre Dieu.

126. J'ai dit que cette dévotion pouvait fort bien être appelée une parfaite rénovation des voeux ou promesses du saint baptême. Car tout chrétien, avant son baptême, était l'esclave du démon, parce qu'il lui appartenait. Il a, dans son baptême, par sa bouche propre ou par celle de son parrain et de sa marraine, renoncé solennellement à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres, et a pris Jésus-Christ pour son Maître et souverain Seigneur, pour dépendre de lui en qualité d'esclave d'amour. C'est ce qu'on fait par la présente dévotion: on renonce (comme il est marqué dans la formule de consécration), au démon, au monde, au péché et à soi-même, et on se donne tout entier à Jésus-Christ par les mains de Marie. Et même on fait quelque chose de plus, car dans le baptême, on parle ordinairement par la bouche d'autrui, savoir par le parrain et la marraine, et on ne se donne à Jésus-Christ [que] par procureur; mais, dans cette dévotion, c'est par soi-même, c'est volontairement, c'est avec connaissance de cause. Dans le saint baptême, on ne [se] donne pas à Jésus-Christ par les mains de Marie, du moins d'une manière expresse, et on ne donne pas à Jésus-Christ la valeur de ses bonnes actions; mais, par cette dévotion, on se donne expressément à Notre-Seigneur par les mains de Marie, et on lui consacre la valeur de toutes ses actions.

127. Les hommes, dit saint Thomas, font voeu, au saint baptême de renoncer au diable et à ses pompes: In baptismum vovent homines abrenuntiare diabolo et pompis ejus. Et ce voeu, dit saint Augustin, est le plus grand et le plus indispensable : Votum maximum nostrum quo vovimus nos in Christo esse mansuros (Epis. 59 ad Paulin). C'est aussi ce que disent les canonistes: Principuum votum est quod baptismate facimus. Cependant, qui est-ce qui garde ce grand voeu? Qui est-ce qui tient fidèlement les promesses du saint baptême? Presque tous les chrétiens ne faussent-ils pas la fidélité qu'ils ont promise à Jésus-Christ dans leur baptême? D'où peut venir ce dérèglement universel, sinon l'oubli où l'on vit des promesses et des engagements du saint baptême, et de ce que presque personne ne ratifie par soi-même le contrat d'alliance qu'il a fait avec Dieu par ses parrains et marraines!

128. Cela est si vrai que le Concile de Sens, convoqué par l'ordre de Louis le Débonnaire pour remédier aux désordres des chrétiens qui étaient grands, jugea que la principale cause de cette corruption dans les moeurs venait de l'oubli et l'ignorance où l'on vivait des engagements du saint baptême; et il ne trouva point de meilleur moyen de remédier à un si grand mal que de porter les chrétiens à renouveler les voeux et promesses du saint baptême.

129. Le Catéchisme du Concile de Trente, fidèle interprète des intentions de ce saint concile, exhorte les curés à faire la même chose et à porter leurs peuples à se ressouvenir qu'ils sont liés et consacrés à Notre-Seigneur Jésus-Christ comme des esclaves à leur Rédempteur et Seigneur. Voici ses paroles: Parochus fidelem populum ad eam rationem cohortabitur ut sciat [...] aequum esse nos ipsos, non secus ac mancipia Redemptori nostro et Domino in perpetuum addicere et consecrare (Cat. Conc. Trid., pte I,c.3).

130. Or, si les Conciles, les Pères et l'expérience même nous montrent que le meilleur moyen pour remédier aux dérèglements des chrétiens est de les faire ressouvenir des obligations de leur baptême et de leur faire renouveler les voeux qu'ils y ont faits, n'est-il pas raisonnable qu'on le fasse présentement d'une manière parfaite par cette dévotion et consécration à Notre-Seigneur par sa sainte Mère? Je dis d'une manière parfaite, parce qu'on se sert, pour se consacrer à Jésus-Christ, du plus parfait de tous les moyens, qui est la Très Sainte Vierge.

131. On ne peut pas objecter que cette dévotion soit nouvelle ou indifférente: elle n'est pas nouvelle, puisque les conciles, les Pères et plusieurs auteurs anciens et nouveaux parlent de cette consécration à Notre-Seigneur ou rénovation des voeux du saint baptême comme d'une chose anciennement pratiquée, et qu'ils conseillent à tous les chrétiens; elle n'est pas indifférente, puisque la principale source des désordres, et par conséquent de la damnation des chrétiens, vient de l'oubli et de l'indifférence pour cette pratique.

132. Quelques-uns peuvent dire que cette dévotion, nous faisant donner à Notre-Seigneur, par les mains de la Très Sainte Vierge, la valeur de toutes nos bonnes oeuvres, prières et mortifications et aumônes, elle nous met dans l'impuissance de secourir les âmes de nos parents, amis et bienfaiteurs. Je leur répond, premièrement, qu'il n'est pas croyable que nos amis, parents ou bienfaiteurs souffrent du dommage de ce que nous nous sommes dévoués et consacrés sans réserve au service de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère. Ce serait faire injure à la puissance et à la bonté de Jésus et de Marie, qui sauront bien assister nos parents, amis et bienfaiteurs de notre petit revenu spirituel, ou par d'autres voies. Secondement, cette pratique n'empêche point qu'on ne prie pour les autres, soit morts, soit vivants, quoique l'application de nos bonnes oeuvres dépende de la volonté de la Très Sainte Vierge; c'est au contraire ce qui nous portera à prier avec plus de confiance; tout ainsi qu'une personne riche qui aurait donné tout son bien à un grand prince, afin de l'honorer davantage, prierait avec plus de confiance ce prince de faire l'aumône à quelqu'un de ses amis qui la lui demanderait. Ce serait même faire plaisir à ce prince que de lui donner l'occasion de témoigner sa reconnaissance envers une personne qui s'est dépouillée pour le revêtir, qui s'est appauvrie pour l'honorer. Il faut dire la même chose de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge: ils ne se laisseront jamais vaincre en reconnaissance.

133. Quelqu'un dira peut-être: Si je donne à la Très Sainte Vierge tout la valeur de mes actions pour l'appliquer à qui elle voudra, il faudra peut-être que je souffre longtemps en purgatoire. Cette objection, qui vient de l'amour-propre et de l'ignorance de la libéralité de Dieu et de sa sainte Mère, se détruit d'elle-même. Une âme fervente et généreuse qui prise plus les intérêts de Dieu que les siens, qui donne à Dieu tout ce qu'elle a, sans réserve, en sorte qu'elle ne peut pas plus, non plus ultra, qui ne respire que la gloire et le règne de Jésus-Christ par sa sainte Mère, et qui se sacrifie tout entière pour le gagner; cette âme généreuse, dis-je, et libérale, sera-t-elle plus punie en l'autre monde pour avoir été plus libérale et plus désintéressée que les autres? Tant s'en faut: c'est à cette âme, comme nous verrons dans la suite, que Notre-Seigneur et sa sainte Mère sont très libéraux dans ce monde et dans l'autre, dans l'ordre de la nature, de la grâce et de la gloire.

134. Il faut maintenant que nous voyions, le plus brièvement que nous pourrons, les motifs qui nous doivent rendre cette dévotion recommandable, les effets merveilleux qu'elle produit dans les âmes fidèles, et les pratiques de cette dévotion.